Grenouilles rieuses de Normandie

Publié le 18 septembre 2017 | Cultures marines, Nos travaux |
Réputée dans la gastronomie française, la grenouille constitue un marché non négligeable en France. Les tentatives de mise en place d’élevage ont longtemps été freinées par des conditions zootechniques difficilement maîtrisables notamment en termes d’alimentation. Avec le succès de domestication par l’INRA d’une souche capable de se nourrir d’aliments inertes, les perspectives se sont ouvertes. Une première ferme dans la Drôme a gagné le pari et vend depuis 2010 des grenouilles en frais. Ce type d’élevage, applicable en Normandie, a conduit le Conseil Régional de Normandie à soutenir deux projets, diversifiant ainsi le panel des produits normands. Afin de soutenir cette nouvelle filière, un accompagnement en recherche et développement a vu le jour, en s’appuyant sur les compétences de différents acteurs régionaux dont celles du SMEL en terme de recherche appliquée.


Quelques repères…

Consommation des grenouilles en France…

Réputée dans la gastronomie française, la grenouille se consomme traditionnellement dans des régions à fortes densités de marais (Vendée, Dombes et quelques régions de moyenne altitude (Ardennes, Jura). Les espèces principalement pêchées et consommées dans ces régions sont Pelophylax ridibundus (anciennement Rana ridibunda) et Rana temporaria à hauteur de 40 à 70 tonnes/an dans les années 60. L’augmentation de la demande et l’interdiction des prélèvements commerciaux ont induit une augmentation de l’importation de grenouilles vivantes et de cuisses surgelées (essentiellement en provenance d’Asie). Les importations françaises étaient de l’ordre de 3 000 à 4 000 tonnes/an de cuisses surgelées et 700-800 t/an de grenouilles vivantes destinées surtout à la restauration, à partir des pays méditerranéens (Turquie, Égypte, Albanie…).

Aller vers l’élevage …

Naturellement, la possibilité de mettre en place des élevages s’est imposée face à ces chiffres d’importation. Les premiers essais ont été freinés par des coûts de rendements économiques trop importants en élevage intensif et un manque global de connaissances biologiques et techniques sur ces espèces. En effet, les besoins zootechniques, notamment en termes de coût de chauffage des bassins d’élevage, l’alimentation habituelle basée sur des proies vivantes et des pertes dues à une tendance au cannibalisme sont autant d’exemples qui rendaient difficile la mise en œuvre d’unités de production.

Les perspectives d’élevage s’ouvrent…

Une grande partie des blocages a été levée grâce à la domestication d’une souche de Pelophylax ridibundus capable de se nourrir d’aliments inertes type piscicole et adoptant un comportement en élevage limitant les pertes par cannibalisme. En effet, André Neveu de l’INRA de Rennes a réussi à produire et maintenir une souche dénommée Rivan 92. Il ne restait plus qu’à attendre l’arrivée d’un pionnier …

La première ferme de grenouilles en France …

Après 10 années d’effort, Patrice François, poissonnier dans la Loire, a créé la première ferme de grenouilles en France, démarrant avec 2 500 géniteurs mâles et femelles de l’INRA de Rennes. Face aux 800 tonnes de grenouilles consommées en France par an, cette ferme pionnière produit 3 à 4 tonnes de grenouilles fraiches par an et pense, à terme, atteindre 20 tonnes.

Et pourquoi pas en Normandie ?…

L’histoire prouve que les Normands ont souvent été conquérants. Aussi, la perspective de pouvoir enrichir le panel des produits normands a rencontré un accueil favorable en région. Ainsi, deux projets d’élevage de grenouilles « made in Normandy » ont vu le jour à partir de 2014 :

  • La société Normandy Frog, basée à Vesly dans la Manche, a comme objectif de produire moins de 20 tonnes par an grâce aux 2 000 m² d’exploitation.
  • La société Aquaprimeur, basée à Blainville sur Orne dans le Calvados a pour objectif une production d’environ 15 tonnes/an dans une exploitation de 2 500 m² en associant cet élevage à un pilote de production maraichère dans un système en aquaponie.
Situation des projets normands …

Le chemin, menant de la création d’un projet à sa mise en œuvre effective, est souvent semé d’embuches.

Aussi, celui du projet manchois, premier à se lancer dans la course aux autorisations nécessaires à la mise en place de la ferme, a été éprouvant. Cependant, avec beaucoup d’abnégation et un soutien important de la région Normandie, les raniculteurs manchois ont pu initier la construction de leur ferme courant 2016 avec une mise en service effective des unités d’élevage en mars 2017. Accueillant les premiers géniteurs en provenance de la ferme de Pierrelatte dans la Drôme, la production a immédiatement commencée avec des premières pontes très vite obtenues. Des stocks conséquents de grenouillettes et de têtards sont donc abrités à l’heure actuelle sur le site de Vesly. Sur ce site, l’intégralité d’un cycle d’élevage allant des pontes à la production d’animaux commercialisables sera menée.

Le projet du Calvados s’est concrétisé par les premiers travaux d’aménagement du site courant 2016 également. Le projet a reçu l’aval des autorités départementales. La mise en service est prévue au printemps 2018. La société Aquaprimeur, maintenant associée avec la ferme de la Drôme, se consacrera à la partie reproduction et production de grenouillettes qui iront en grossissement ensuite dans la Drôme.

Besoins d’un accompagnement en Recherche et Développement …

Toute filière, qu’elle soit nouvelle ou ancienne, connait des besoins en recherche et développement. La raniculture ne fait pas exception à cette règle même si la ferme pionnière de la Drôme est maintenant en activité depuis plusieurs années. La raniculture de Normandie a très rapidement souhaité pouvoir bénéficier de ce type de soutien dès sa création.

Aussi, en collaboration avec les services de développement économique du conseil régional, les protagonistes de la raniculture normande ont sollicité les organismes régionaux susceptibles de leur apporter une aide. C’est ainsi, que fin 2015, le SMEL a été contacté pour accompagner la filière dans le cadre d’un soutien scientifique et technique sur la zootechnie.

Le SMEL a donc répondu à ce besoin, en élargissant son milieu d’intervention habituellement maritime et en proposant de mettre en place un nouveau plateau technique pouvant accueillir ce type d’élevage en eau douce. L’objectif de ce plateau est de pouvoir réaliser un certain nombre d’expérimentations destinées à préciser les gammes de variation de facteurs externes sur la croissance des grenouilles, domaine dans lequel le centre d’expérimentation du SMEL a depuis longtemps fait ses preuves.

Ce projet a donc été concrétisé par le dépôt d’une demande de financement régional « appel à projet synergie partenariale », dans laquelle, le SMEL, pilote du projet, est associé aux deux entreprises Aquaprimeur et Normandy Frog. Cette demande acceptée au printemps 2016 a permis la mise œuvre du programme « KERMIT » bénéficiant donc d’un financement du Conseil Régional de Normandie, d’un co-financement du Conseil Départemental de la Manche et des autofinancements du SMEL et des deux entreprises ranicoles.

 

KERMIT : préciser l’importance des facteurs externes et de la zootechnie sur la croissance des grenouilles…

Respecter la réglementation en matière d’expérimentation animale …

Travailler sur ces vertébrés, c’est immédiatement rentrer sous l’égide d’une réglementation stricte et légitime en matière de bien-être en expérimentation animale. En effet, au-delà des discours partisans, la notion d’éthique et de bien-être des animaux utilisés en expérimentation n’est pas nouvelle mais s’est concrétisée par l’édition d’une directive européenne (2010/63/UE)  puis par des décrets et arrêtés en France en février 2013.

Le respect de ces règles nécessite notamment un plan de formation des agents concernés par ce type d’expérimentation et un agrément des structures abritant ceux-ci. C’est pourquoi, dès le début du projet, avant même de mener quelques expérimentation que se soient, trois agents du SMEL ont suivi une formation en la matière au sein de l’École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation de Nantes – ONIRIS. Suite à cela, les procédures d’agrément du centre d’expérimentation du SMEL à Blainville sur mer ont été lancées. L’inspection des services chargés de ces aspects au sein de la DDPP, a conclu à une non-nécessité  d’agrément du centre du SMEL puisque les expérimentations qui y seront menées en matière de raniculture sont intégralement ciblées sur de la mise au point zootechnique.

Malgré cela, sensibilisés et formés à ces notions de bien-être animal, les agents du SMEL ont intégré à leur organisation interne, toutes les procédures nécessaires allant de la gestion et la traçabilité des cheptels en passant par la création d’une cellule « bien-être animal » et la définition de points limites en expérimentation.

Création et calibration du plateau technique dédié à la raniculture …

Pour mener à bien ce projet, de nouvelles structures d’élevage en milieu contrôlé ont vu le jour … mais cette fois-ci, il s’agit bien d’eau douce et non d’eau de mer milieu de prédilection du SMEL jusqu’à présent. Le SMEL a créé cinq modules de conditionnement pour lesquels les facteurs externes tels que la température et la photopériode sont maitrisables.

La première expérimentation a consisté à vérifier que le système d’élevage était satisfaisant et permettait aux grenouilles d’avoir une croissance significative et dans de bonnes conditions. Les toutes premières grenouillettes sont arrivées à Blainville sur mer en décembre 2016 en provenance de la ferme de Pierrelatte dans la Drôme. Avec un lot de 60 individus, les premiers essais ont permis de déterminer les durées d’expérimentation nécessaires à une croissance significative.  Ce premier contact avec un matériel biologique inhabituel au SMEL, a permis de confirmer que les structures d’élevage mises en œuvre assuraient un bon environnement pour les grenouilles. Celles-ci se sont très vite adaptées, se sont nourries correctement et ont présenté un comportement normal. Cette première cohorte a permis de mesurer et d’estimer les variations de croissance entre des individus dominateurs qui grossissent vite et ceux qui, dominés, ont du mal à accéder à la nourriture. Ainsi, ces premières observations ont donné lieu à un essai d’isolement des animaux dits « queue de lot », qui grandissent pas ou peu. Isolés, ces animaux ont montré qu’ils pouvaient reprendre leur croissance sans pour autant rattraper le retard sur les dominateurs.

Ces premiers essais réussis ont permis ensuite de tester différents paramétrages d’élevage.

Expérimentations menées sur les paramètres zootechniques …

La méthodologie appliquée dans ce cadre est de tester un à un les principaux paramètres essentiels d’élevages que sont la température, les densités, les types d’aliment, les rations alimentaires et les fréquences de distribution de ces rations. Lorsqu’un test est réalisé sur un facteur en particulier, tous les autres restent fixés à des valeurs standard témoin, valeurs qui ont été déterminées en collaboration avec les professionnels sur la base des informations existantes et relevées dans la ferme pionnière de Pierrelatte. Avec le plateau technique mis en place, il est alors possible de tester 5 conditions simultanément.

Un bilan satisfaisant  …

Sur la durée du programme qui s’achève fin octobre, ce sont 7 expérimentations qui auront pu être menées. D’ores et déjà, l’impact des facteurs choisis sur la croissance des grenouillettes de 5 grammes a pu être mesuré et la variabilité de réponses, en terme de croissance, a pu être évaluée, apportant ainsi des référentiels importants pour la mise en place et l’optimisation des élevages normands.

Si certains résultats étaient prévisibles, comme l’impact des densités d’élevage, d’autres ont soulevé de nouvelles questions, incitant les partenaires de ce programme à ajuster le prévisionnel de test et d’entrevoir de nouvelles pistes de recherche.

Le plan opérationnel initialement prévu a été rempli et a permis d’atteindre les objectifs définis.  Le plateau technique dédié à la raniculture a donné entière satisfaction. Il renforce ainsi l’offre zootechnique nécessaire à la « Recherche et Développement » au niveau régional voire même sur le plan national.

Perspectives …

Chaque réponse amenant toujours à de nouvelles questions, les partenaires du programme et les financeurs ont discuté au sein du comité de pilotage qui a lieu le 5 septembre 2017, des perspectives qui s’offrent désormais. Dès lors que  les entreprises seront opérationnelles, il sera possible d’apporter un accompagnement sur site. Jusqu’à présent l’effort mené a été concentré sur la partie grossissement de juvéniles mais il restera encore à faire des recherches en particulier sur le grossissement des adultes et la maitrise de la reproduction.

Il est également envisagé de pouvoir bénéficier au sein d’un même groupe de travail des compétences diverses d’opérateurs régionaux impliqués dans le soutien à la raniculture normande. Ainsi, les aspects sanitaires et zoosanitaires, déjà étudiés et suivis par le pôle d’analyse et de recherche de Normandie LABEO, sont les premiers domaines qui ont été associés à ces démarches.

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