Changements climatiques : pêche aux bulots en danger ?

Publié le 10 juillet 2015 | Mer & Littoral, Nos travaux, Pêche, Ressources documentaires |
La Baie de Granville est la première région française et européenne de pêche du bulot. La gestion de cette pêcherie s’inscrit dans une politique durable. Mais la zone locale de pêche se situe au sud de la forte répartition géographique de cette espèce d’eau froide … Qu’en sera-t-il si le climat change ? Dans quelles mesures et comment pourrait-il avoir des impacts négatifs sur la pérennité de la pêcherie ?
Le SMEL, appuyé par le Conseil Départemental de la Manche, le Conseil Régional de Basse-Normandie et le Fond Européen pour la Pêche depuis 2009, a mis en place le programme BULOCLIM : un programme de recherche portant sur la reproduction des bulots en lien avec la température, une des principales variables des changements climatiques, et, ses répercussions sur la pêcherie.

Sommaire


Le programme BULOCLIM : pourquoi un tel programme et pour qui ?

Les changements climatiques sont inévitables mais pourquoi mettraient-ils en danger une pêcherie ?

Aire de répartition des bulots en Europe (@SMEL)

Aire de répartition des bulots en Europe (@SMEL)

La pêche côtière est très dynamique dans l’ouest Cotentin et notamment pour certaines espèces emblématiques dont le bulot, gastéropode d’eau froide vivant dans une large zone de l’arctique à l’Atlantique nord. Mais voilà, les zones de pêches les plus importantes sont situées tout au sud de cette large zone: c’est la limite sud de répartition géographique de l’espèce (cf. carte ci contre).

En cas d’évolution du climat qui tend selon le G.I.E.C. à un réchauffement, les températures des masses d’eau des côtes ouest de l’Atlantique nord sont susceptibles d’augmenter et cela pourrait avoir des conséquences sur les populations de bulots.

Pourquoi des conséquences négatives ?

Le bulot Buccinum undatum est un gastéropode d’eau froide. Son cycle de reproduction s’avère complexe avec la nécessité d’une dynamique de températures et des amplitudes thermiques allant de 7°C à 19°C (en moyenne) près de nos côtes. Ainsi, les températures doivent être montantes pour la fabrication des gamètes (ovules et spermatozoïdes) et descendantes pour l’accouplement comme la ponte. Les pontes sont émises juste avant la période la plus froide de l’année. Mais tout ce cycle se passe dans des températures plutôt fraîches et l’élévation de ces températures liée à un réchauffement climatique pourrait perturber le cycle de reproduction du bulot.

Pour qui ce programme est-il intéressant ?

Outre les connaissances théoriques apportées par ce programme, il y a en premier plan un enjeu économique fort. En effet, les actions proposées ont pour objectif d’anticiper ces changements climatiques pour optimiser la gestion de la pêcherie en adaptant les pratiques de pêche et pérenniser ainsi l’activité des pêcheurs.


État des lieux de la pêcherie

S’occuper des changements climatiques, oui, mais dans quel état se trouve cette pêcherie de bulots ?

Depuis 1970, la pêche des bulots est professionnelle avec une politique de gestion des ressources côtières. Cependant, ce n’est qu’après la chute constatée des rendements de la fin des années 90 que des réglementations pour pérenniser aussi bien la ressource que la profession sont mises en place.

La pêche des bulots s’effectue à l’aide d’engins passifs : des casiers garnis d’appâts (têtes de poissons, tourteaux …), placés en filière au fond de l’eau pendant 24h. Les bulots ainsi récoltés passent dans des machines de tri à bord des bateaux pour ne conserver que les bulots commercialisables de taille supérieure ou égale à 45 mm. Cette pêche est autorisée de février à décembre à raison de 5 jours par semaine. Les bulotiers se doivent d’avoir une licence de pêche et sont soumis à des quotas avec 300kg maximum de bulots remontés par marin et 3 marins maximum à bord.

Pour juger de l’état de cette pêcherie, 2 indicateurs ont été choisis :

  • La quantité de bulots (commercialisables) par casier par jour : la CPUE.
  • La quantité de bulots par classe de taille par casier : le profil de taille.

La CPUE (Capture Par Unité d’Effort (kg de bulot par casier par 24h)) et les profils de taille (nombre de bulots par taille) sont obtenus au cours d’échantillonnages de pêches, qu’elles soient scientifiques ou professionnelles. Ce sera la variation, dans le temps de ces indicateurs, qui permettra de juger de la stabilité des captures ou du niveau de recrutement (nombre de bulots de différentes tailles) et par conséquent de l’état de la pêcherie.

Depuis 2007, les campagnes d’échantillonnages de pêches professionnelles ou scientifiques ont fourni des renseignements précis aussi bien sur les CPUE que sur les profils de taille.

Sur la période 2009 – 2013 les rendements de pêche sont stables avec une moyenne d’1.14 kg de bulots par casier par jour (cf. graphique ci-dessous), signe d’une stabilité de la ressource pêchée.

évolution des CPUE

Évolution des CPUE (@SMEL)

 

L’augmentation du nombre de petits bulots témoigne d’un recrutement futur favorable (cf. graphique ci-dessous).

Evolution profil de taille

Évolution du profil de taille (@SMEL)

 

Des CPUE stables associées à un recrutement favorable montrent que cette pêcherie bénéficie d’une bonne gestion, appropriée aux conditions environnementales actuelles.

Ce constat est encourageant mais que se passera-t-il si les derniers scénarios climatiques publiés par le GIEC deviennent réalité ? Tous ces efforts seront-ils balayés compte tenu de l’augmentation des températures à moyen terme ?


Réchauffement climatique et reproduction des bulots

La pêcherie de bulots est une pêcherie bien gérée, mais elle reste vulnérable face aux changements climatiques, comment l’étudier, comment appréhender cette vulnérabilité, comment les bulots peuvent-ils être en danger ?

La survie d’une espèce dépend directement de sa reproduction. C’est cette reproduction qui permet, via tout un ensemble de processus, de perpétuer une espèce créant ainsi de nouveaux individus grâce à un brassage génétique. La reproduction c’est le point crucial, le plus sensible au cours du temps, du cycle d’une espèce.

Sachant que la température est une des variables majeures des changements climatiques, c’est celle-ci ou plutôt ses variations qui ont été mises en avant lors des expérimentations.

La variation des températures influe-t-elle sur la reproduction ?

Pour répondre à cette question, 2 suivis ont été conduits en parallèle :

  • Un suivi en milieu naturel sur la maturation des géniteurs c’est-à-dire le temps qu’il faut à un bulot, mâle ou femelle, pour devenir sexuellement mature (être en capacité de se reproduire). Ce suivi est conduit sur 4 zones géographiques de températures moyennes différentes : le Cotentin (pris comme température de référence), 2 zones froides, l’Ecosse et l’Irlande, et, une zone « chaude » Oléron.
  • Un suivi des pontes dans 4 températures différentes en laboratoire.

Les variations de températures s’effectuent toujours par rapport à une température de référence, ici celle de la zone d’intérêt : l’ouest Cotentin.

Les résultats mettent en évidence des différences. La taille à maturité sexuelle varie selon les sites géographiques étudiés. Mais quand peut-on dire que les bulots sont sexuellement matures? La maturité sexuelle est admise lorsque 50% des individus de la même classe de taille ont des gonades en classe III c’est-à-dire que les organes reproducteurs sont prêts à émettre des gamètes.

Sur le graphique « pourcentage de bulots par stade de maturité », il est possible de voir qu’à Oléron les bulots sont matures à partir de 45 mm, alors qu’ils ne le sont pas avant 55 mm dans le Cotentin, entre 65 et 70 mm en Irlande et au-delà de 100 mm en Écosse.

Pourcentage de bulots à maturité

Pourcentage de bulots à maturité (@SMEL)

 

De même, un nombre plus important de pontes de bulots a été observé en laboratoire pour la température la plus froide de l’expérimentation. Plus encore, plus la température s’élève, moins ces gastéropodes pondent.

bilan des pontes entre 2012-2014 (@SMEL)

bilan des pontes entre 2012-2014 (@SMEL)

 

Ces résultats montrent l’influence directe de la température sur la reproduction. Et par conséquent l’effet perturbant des températures plus élevées sur les pontes.


Et dans le futur ?

Toutes ces études sont faites dans un but précis : adapter la gestion règlementaire de la pêcherie ainsi que les pratiques de pêche en fonction de l’évolution climatique et préserver ainsi l’activité des pêcheurs de bulots.

Prévoir les changements du climat tout comme la variation des stocks de bulots n’est pas facile mais il est possible de réaliser des projections. Ces projections sont possible grâce à une acquisition en masse de données pertinentes, données biologiques, halieutiques et socio-économiques. Ces données servent à alimenter des modèles mathématiques qui fournissent des indications prévisionnelles des stocks et voir l’évolution des populations de bulots.


Conclusion

La pêche des bulots, avec 8000 tonnes de gastéropodes débarqués, ne représente pas moins de 12 millions d’euros en Normandie. La Baie de Granville et ses 5.4 millions d’euros directement liés à cette pêche font partie intégrante du paysage économique du Cotentin. Aujourd’hui, grâce à l’engagement de la profession aux côtés des scientifiques, la pêcherie de buccins de la Baie de Granville bénéficie d’une gestion appropriée aux conditions actuelles. Surveillée par de nombreuses études financées par le département, la région et l’Europe, nous serons en mesure de fournir des éléments et des outils afin de conserver une gestion efficace quels que soient les changements climatiques. Mieux, cette pêche locale est en voie d’éco labélisation « Pêche durable MSC » avec une certification attendue dès 2015.


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PG rapport Buloclim

Changement climatique et reproduction des buccins

Impact sur la pêcherie de l’ouest Cotentin.

Programme 2012 – 2014

A. Brutel-Philip, L. Hégron-Macé, V. Legrand, K. Grangeré & K. Kellner.

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